(Par Sylvie)
La nouvelle dépression qui va balayer le sud de Kyushu nous oblige à trouver refuge dans la marina de Kushikino, bien protégés par les kamis d’un petit sanctuaire shinto qui se cache dans les arbres, en haut de la colline.
Avec Pierre « le vaudois d’Himeshima » venu nous rejoindre pour une semaine, nous en profitons pour aller visiter le musée de la paix de Chiran, dédié à la mémoire des kamikazes de la bataille d’Okinawa. Nous voilà donc bringuebalant dans un très lointain ancêtre du Shinkansen, qui assure la liaison jusqu’à Kagoshima d’où part le bus pour Chiran.
Le musée est bondé. D’emblée, l’audio-guide nous prie de ne pas confondre les kamikazes islamistes qui se font sauter au milieu d’un foule de civils avec les kamikazes japonais. Ces derniers utilisant une tactique militaire inédite, dite du tokko (attaques spéciales) pour détruire des cibles ennemies. C’est de la base de Chiran qu’en 1945, partirent 1036, pour la plupart de jeunes étudiants, mobilisés pour devenir des « tokko pilotes ».
Photos, films, témoignages et innombrables lettres d’adieu (adressées surtout aux mères) racontent le sacrifice héroïque de ces jeunes gens pour la patrie ou pour l’honneur. On met en évidence les écrits émouvants de stoïcisme : « Maman, désolé d’avoir été un enfant désobéissant, pardonne-moi. Je suis heureux de partir ». « …même après ma mort je défendrai ma patrie, le Japon ». On nous relate l’histoire de cet instructeur qui se porta volontaire pour pouvoir effectuer, comme ses élèves des opérations tokko. Ce qui lui fut refusé, en vertu de l’utilité de sa fonction. Apprenant cela, son épouse lui écrivit la lettre suivante : « …tant que nous serons en vie tu ne pourras as faire ce que tu veux… ». Puis elle se jeta d’un pont avec leurs deux filles. Du coup, compte tenu de la cruelle situation dans laquelle se trouvait le jeune instructeur, l’armée accéda à sa requête et il mourut dans le ciel d’Okinawa.
Que de sacrifices, d’abnégation, que d’actes de bravoure cités en exemple ! Je me demande ce que retiennent les jeunes Japonais qui vont aujourd’hui visiter le musée de la Paix de Chiran.
S’ils prennent le temps de voir un documentaire de 30 minutes, ils apprendront, au détour d’un commentaire que derrière les sourires des kamikazes prêts à partir en mission, se cachait la peur et que, parfois, dans le dortoir où ils étaient réunis la veille du départ, on les entendait pleurer.
Mais sauront-ils jamais que les émouvantes lettres d’adieu affichées ans le musée, étaient passées par la censure militaire ? Que les « volontaires » kamikaze,, n’avaient pas le choix de refuser leur affectation ? Que l’armée mobilisait plutôt des étudiants en lettres – moins utiles pour le pays- que des étudiants des filières scientifiques, pour les missions « tokko » ? Que ces jeunes gens ont été sacrifiés à une tactique militaire qui permettait de faire, avec une formation bâclée, le maximum de dommages avec le minimum de « matériel humain » ? En clair, il n’est écrit nulle part que ces admirables jeunes gens, endoctrinés par une savante propagande (basée, notamment, sur la tradition des codes de l’honneur des samouraïs), ont servi de chair à canon à un régime militaire impitoyable et jusqu’au-boutiste, au point de sacrifier ses propres citoyens, pour une guerre déjà perdue.
Sans aucun doute, ces kamikaze-là méritent que l’on honore leur mémoire, qu’on leur dédie un musée, qu’on raconte leur tragique histoire pour qu’elle ne se reproduise plus. Mais bon sang, qu’on le fasse en réprouvant clairement le régime et le cynisme qui les a précipités dans cette mortelle impasse. Or ça, visiblement, le Japon moderne et démocratique en est encore incapable !