(Par Sylvie)
Il y a des lieux sur cette planète qui suscitent une seule et unique question : qu’est-ce que je suis venu faire ici ? Severo Kourils’k en fait partie.
Il fait un temps pourri lorsque nous arrivons dans la capitale des îles Kouriles du nord, située justement tout au nord de l’archipel. Il fait un temps pourri, on se les gèle, l’eau a 3°, la température ambiante atteint péniblement les 5° et l’humidité transperce le Gortex. Ce n’est pas un ciel, c’est un mur de nuages qui s’élève au dessus des reliefs encapuchonnés. Plus bas, il traîne une vilaine brume et en plus, il pleut !
C’est dans ce cadre d’une glauquitude achevée que nous apparait le port de Severo-Kourils’k, jonché d’épaves rouillées. Nous sommes assignés au bout du bout d’un quai sous une colline de ferraille, à couple avec Anthéa, lui-même à couple avec un chalutier crasseux. Ça pue le fuel et la poiscaille. On voudrait fuir sur le champ. Mais trop tard : les casquettes vertes et les uniformes sont déjà à l’oeuvre. Et ils ont la réputation d’être archi tatillons.
Eh bien, pas du tout. Et c’est la première bonne surprise que nous réserve Severo-Kourils’k. Les officiers de l’immigration et des douanes sont de beaux jeunes gens qui, une fois leur travail fait, se dérident et osent un brin de conversation en anglais. Ils nous montrent sur leurs portables des vidéos de la région d’une beauté à couper le souffle. Pour eux, c’est le plus beau coin du monde et ils n’échangerait pas leur vie contre celle d’un Moscovite. Ok le temps n’est pas toujours top, mais il y a la nature, le ski, le trial, la pêche et tant d’autres activités pour une saine jeunesse ! Sourires, poignées de main. Les formalités sont expédiées dans la bonne humeur. Nous pouvons mettre pied à terre.
La pluie à cessé. La ville de Severo-Kourils’k n’en n’est certes pas plus riante, mais, dans son écrin de verdure, au pied du volcan, elle a un je ne sais quoi d’attachant.
Il y a les deux épiceries bien achalandées et surtout, le petit resto qui fait de la cuisine maison : du borsch, une sorte de goulash, une délicieuse purée de pomme de terre, le tout servi avec un Морс (morse) pur jus d’airelles. Simple, chaleureux, ravigotant.
Il y a la poste où, passé une porte de prison, on se retrouve dans une sorte de petite boutique d’Ali Baba. On y fait la queue pour retirer tous les achats faits sur internet ( internet qui, sans aucun doute a changé la vie des habitants des lieux les plus reculés).
Il y a, au delà des arrières cours et des façades décrépies, les bâtiments bariolés qui donnent à la ville des airs de jeu de Lego. On a tapissé de mousse le parterre de la place de jeu tout aussi bariolée, on achève de construire un trottoir, on fleurit les places, les rues sont propres et bien entretenues.
Il ne manque que le soleil pour que Severo-Kourils’k ne nous séduise vraiment.Et justement, le voilà qui se pointe, dès le lendemain. Le volcan se dresse dans le ciel qui vire au bleu.
Le paysage se fait imposant et chatoyant. Sur les pentes des taches de neige grises forment une peau de léopard sur le vert lustré de la toundra. Et le long de la plage, on a le sentiment de se promener dans un tableau surréaliste : sur la mer sombre des bateaux rouillés, des coques, des mâts et autres amas de ferrailles dessinent leurs silhouettes cabossées. La matière orange retourne lentement, très lentement, à la terre.
Finalement, merci au FSB qui nous a imposé de partit plus tard que prévu. A 16h20, nous a-t-on intimé. Pas avant, ni après. Pourquoi 16h20 ? Nous ne le saurons jamais. C’est malheureusement le genre d’arbitraire auquel les Russes se sont habitués depuis belle lurette. Au moins nous a-t-il permis de voir Severo-Kourils’k sous un autre jour.