Là, bas, tout au bout de la route du port, il y a une maisonnette orange, dans la maison orange, « mi café », le café du ferry et au « mi café », c’est Gabriela la patronne, Gabi comme on l’appelle. Petite dame en bonnet de pâtissière et tablier, elle vaque entre la cuisine et les clients. De 8 heures du matin à 9h du soir, concentrée mais toujours souriante, elle sert son thé blanc, son roibos, ses jus de fruits frais au gingembre ( ici on ne sert pas d’alcool) ses pâtisseries ou ses muffins. Certains soir elle propose des pâtes fraîches, ou des pizzas qu’il faut commander à l’avance, parce que tout est fait maison et qu’il n’y en aurait pas pour tout le monde.
Gabriela parle parfaitement anglais, espagnol et français : elle a fait des études d’archéologie à La Sorbonne et son école de vie au Chili où elle est née, au Liban, en Argentine et en Patagonie au gré des postes où son père, diplomate argentin, était nommé. Elle a travaillé au Nicaragua pour une ONG de défense des droits humains et puis elle a atterri à Puerto William, parce que son neveu lui a dit que c’était là que se trouvait l’avenir du tourisme. « L’avenir n’est pas encore vraiment arrivé, mais moi, je suis là » sourit Gabriela. Elle avait la cinquantaine bien sonnée lorsqu’elle y est arrivée avec le ferry de Punta Arenas, avec trois jours devant elle pour trouver un travail. Elle l’a trouvé dans un restaurant où elle s’est aussi essayée à être guide touristique. « Ici, si tu veux travailler, tu trouves tout de suite ». Et puis, le Covid, les hasards de la vie aussi, ont fait le reste. Elle a décroché la gérance du « mi café », où Isabelle, une institutrice française qui fait d’excellentes pizzas, vient de la Drôme pour aider Gabi, amie de longue date, durant la saison d’été.
Je regarde ces deux femmes, libres, rayonnantes et courageuses. Toutes deux ont gagné leur liberté dans des circonstances sans doutes douloureuses, mais à chaque fois, elle ont rebondi, remis en jeu leur confort, exploré de nouveau chemins pour aller de l’avant, expérimenté de nouvelles façons de se réaliser, déniché de nouveaux bonheurs qui n’était pas à leur porte. Belle leçon de vie du bout du monde.