(Par Sylvie)
Quoi de plus pratique qu’une caldera située en pleine mer, pour exiler les importuns ? Nous connaissions l’archipel du Goulag ( les Solovetski ) mais pas l’archipel des Oki, qui, toute proportion gardée, s’est vu attribuer la même vocation de prison à ciel ouvert. Nées de l’effondrement d’un volcan, il y a six millions d’année les plus grandes des îles Oki ont recueilli deux Empereurs, un célèbre Samouraï et un poète en disgrâce. Ils y furent expédiés au temps des Shoguns pour qu’on les oublie, mais aujourd’hui on les rappelle au bon souvenir des touristes qui adorent les histoires d’intrigues de conspirations et de bannissement.
Pour ne pas faire mentir la tradition, nous avons décidés de nous exiler, à notre tour dans les îles Oki, parmi les déportés d’un tout autre genre. Du genre féminin, par exemple…en ce qui concerne les bovidés. Eh oui, seules les dames vaches sont assignées à résidence dans les pâturages de Dogo, Nishinoshima, Chiburijima ou Nakanoshima ( les quatre îles habitées de l’archipel qui compte 25 mille habitants ). Une fois engrossées par insémination artificielle, elles y paissent en toute liberté, puis mettent bas une progéniture qui, aura un sort nettement moins enviable: renvoyée par bateau sur le « Main land » de Honshu, les veaux finiront à l’abattoir pour satisfaire les amateurs de wagyu marbré et fondant.
D’accord, mise au ban sexiste, ça existe aux Oki, mais seulement pour les quadrupèdes vaches. Pour les chevaux en revanche, pas de discrimination, à première vue. Car dans les brouillards qui nimbent les falaises de Nishinoshima, il n’est pas toujours aisé de savoir si c’en est un ou si c’en est une. Mais qu’importe, le spectacle est troublant…de beauté.
On se croirait dans nos Franches-Montagnes, si ce n’est que le pâturage surplombe une mer qui bat inlassablement les flancs des falaises aux couleurs volcaniques.
Pauline nous a rejoints dans notre exil volontaire, avec du soleil dans ses valises. On oublie le temps en se baladant au dessus des vagues écumantes
…entre les temples nichés dans la pierre, les rizières et les cerisiers qui se sont donnés le mot pour donner des cheveux blancs aux collines
À la nuit tombante, nous rejoignons la chaleur de Chamade et d’ un autre bateau : le onsen de la sympathique guesthouse familiale Tsurumaru, qui nous a mis à disposition son ponton.
Sourires et gentillesse sont toujours au rendez-vous, avec la gastronomie locale.
Vu l’importance économique que revêt le toursime pour les Oki – en plus de l’élevage et de la pêche- on sait recevoir aimablement toutes les personnes déplacées par car entiers pour savourer l’isolement des lieux.
Mais voilà que notre exil doré finit par se transformer en exil forcé, car Eole s’évertue à nous souffler 25 à 30 noeuds dans la figure. Aucune chance d’évasion, si ce n’est une périlleuse traversée de la caldera, au près, pour passer d’une île à l’autre.
Mais patience. Nous avons pu finalement prendre la fuite, de nuit, pour rejoindre les terres de Onchu où nous projetons une virée dans la ville impériale.