Rien n’est simple dans de l’Arctique canadien. En toute saison le froid polaire conditionne la vie quotidienne des habitants. Et aussi le repos des morts. A Gjoa, perchés sur la colline où le cimetière jouxte la décharge publique, ils doivent souvent attendre des mois dans leur cercueil, avant d’être enterré. Le sol est trop dur pour que l’on puisse creuser une sépulture. Pas question non plus de creuser des fondations pour les habitations. Il faut tenir compte du permafrost qui maintient la terre gelée en surface presque toute l’année. C’est donc sur des structures métalliques de vérins que seront édifiées, simplement posées, les structures des maisons de bois, selon des techniques ultra modernes qui garantissent à la fois l’isolation parfaite des parois et une souplesse suffisante pour assurer l’horizontalité de l’habitation en toute circonstance.
Car outre le fait qu’ils permettent de découpler le sol du permafrost et de limiter l’emprise au vent, les vérins sont ajustables pour compenser les mouvements de terrain. Comme au Groenland, les terrains sont attribués par la communauté qui en a la propriété, en fonction d’une planification. « Les normes sont même assez strictes, relève Bruno. On ne peut pas, par exemple, construire à moins de 6 mètres d’une route ». Mais laquelle ? Bonne question. Car ici toutes les routes – ou plutôt les pistes, se recoupent et s’entrelacent, au gré du pragmatisme des chauffeurs de quads qui les dessinent selon leurs besoins. « Employé par l’administration de la province autonome du Nunavut, Pat vient régulièrement de Cambridge Bay pour superviser la construction de nouveaux logements. « La population augmente très rapidement et nous n’arrivons pas à suivre le mouvement », dit-il. Alors, en attendant, les familles s’entassent dans des maisons trop petites, avec tous les problèmes sociaux et de santé que pose la promiscuité. Mais que faire ? La banquise bloque tout, neuf à dix mois par année. Gjoa Haven n’est donc ravitaillée par bateaux que deux fois l’an : les 12 et 20 septembre. Sans compter le tanker qui livre le fuel chaque année. Arrivent alors les matériaux les plus lourds et les denrées non périssable. Le reste doit prendre l’avion, tributaire, lui aussi de la météo. Et généralement, l’avion n’est pas bien grand, car la piste en gravier de l’aéroport de Gjoa n’est pas faite pour les gros porteurs (même si parfois un Hercules C-130 vient décharger le plus gros des matériaux).
Tout ça fait grimper les prix, et complique diablement le travail durant la courte période estivale où l’on peut construire. Autre casse-tête : l’eau. Par-30 ou -40 degré, elle ne peut être distribuée dans les maisons par un réseau de canalisation. Il faut donc la pomper dans un lac voisin, en chauffant les tuyaux, jusqu’à un réservoir lui aussi tempéré. Une fois traitée, elle sera acheminée par camions jusqu’au village où chaque habitation possède deux citernes : une pour les eaux usées et une pour l’eau potable.
A Gjoa, les camions vont faire leur tournée, en principe deux fois par semaine. Ils se branchent directement sur les tuyaux des citernes individuelles qui dépassent à peine des maisons, soit pour les remplir d’eau potable soit pour aspirer les eaux usées. Toutes ces astuces pour déjouer les pièges du climat polaire sont payantes, mais aussi très cher payées par le gouvernement canadien qui entretient ses colonies de peuplement inuites pour marquer, coûte que coûte, la souveraineté de l’Etat sur les territoires d’archipel arctique. Il n’empêche qu’on reste admiratif face aux trésors d’ingéniosité que l’homme est capable de déployer pour s’adapter aux caprices de la nature.