Trois semaines dans le bleu, trois semaines hors sol, hors monde, hors temps.
Trois semaines dans une sorte de rêve éveillé, à se laisser porter par les vents et ballotter par la vague, à veiller aux grains et à les essuyer. Pour se prouver qu’on existe encore on se crée de petits rituels, des points de repères, on jalonne la journée de petits riens importants : 11h, l’heure de prendre les mails et d’envoyer nos observations à Météo-France. 12h l’heure de commander le grib météo et d’échanger nos positions avec Kauana, le bateau de Rémi et Hélène que nous avions rencontré en Alaska et recroisé à La Paz. Il vogue aussi vers les Marquises, à quelques dizaines de milles de Chamade.13h l’heure du casse-croûte, 18h quelles sont les dernières news mail ? 20h : on se met à l’écoute du réseau des bateaux francophones qui zonent en Polynésie. Bzuoiiiiiiii zuiiiiii (bruit de BLU) « Salut, ça va ? Ouais, ça va bien et toi, t’es où ? Bon ben… bon vent … ». 20h15, dîner, dodo pour l’un et quart pour l’autre. Mais on a beau se mettre des balises, le temps nous échappe, on s’aperçoit en ouvrant nos I-Pad que nous avons changé de fuseau horaire. Alors on se fixe une heure arbitraire, rien que pour nous. Parce que nous sommes dans le bleu, hors sol, hors monde.
Et puis, à un certain moment, à l’heure marquisienne (TU + 9 et demi… oui on tient à la demi), le jour se lève sur les reliefs grandioses et austères d’Hiva Oa. Des cascades de vertset de gris, couleurs Gaugin, des nuages menaçants qui buttent sur les montagnes. La vie sauvage, encore ? Aïe ! Le port d’Atuona est rempli de mâts. Il faut zigzaguer entre les bateaux (dont deux suisses) pour trouver un coin où jeter l’ancre (avant et arrière à cause de la houle), à côté du voisin estonien et de la famille norvégienne qui voyage elle aussi sur un OVNI.
Bon, mais tout s’organise à merveille. Nous retrouvons notre montre pour nous caler sur les horaires de la gendarmerie, des magasins, de la banque et de la poste. Et si comme chantait Brel, le temps s’immobilise aux Marquises, il n’a figé que la gentillesse naturelle et le sourire des gens d’ici. Pour le reste, il court toujours mais moins vite qu’ailleurs. Iris nous prend en stop dans pick-up 4×4 rouge vif, une fleur d’ibiscus à l’oreille et une main tatouée posée sur le volant. Le cheval blanc de Gaugin est toujours là, qui broute devant la superette.
P.S: L’accès Internet est particulièrement chiche et lent ici aux Marquises. Ainsi nous allons continuer d’alimenter le blog via le téléphone satellite Iridium (et donc sans photo) remettant à plus tard l’illustration, lorsque nous disposerons d’un net utilisable. Même chose pour le courrier e-mail, pour ceux qui en dispose, utilisez l’adresse satellite. Nos adresses habituelles ne seront relevées que très occasionnellement.
On le savait, le temps s’immobilise… aux Marquises! Jacques Brel nous l’a chanté merveilleusement.
Par contre on ne peut pas prétendre que l’équipage de Chamade s’immobilise! Tant mieux pour vous ainsi que pour nous, les suiveurs!
merci jeanda