(par Sylvie)
Autant vous le dire tout de suite, le peuple aléoute (Unangan dans leur langue), n’a pas eu une destinée heureuse.
Comme leurs cousins Inuits, avec qui ils partagent la même souche, ils sont arrivés de Sibérie ou de Mongolie, 8’000 ans avant J-C. Mais au lieu de rester sur le continent, qui sait pourquoi (ni quand exactement), ils sont repartis vers l’ouest pour coloniser ces îles inhospitalières et vierges que l’on nomme aujourd’hui Aléoutiennes et Pribilof, ainsi que le bout de la péninsule alaskienne.
Vivant essentiellement de la pêche et de la chasse à la baleine ou aux phoques, ils s’abritent pour se prémunir du rude climat dans des cabanes à moitié enterrées qu’ils construisent avec du bois flotté et des os de baleines – ben oui, il n’y a pas d’arbres dans les Aléoutiennes – à l’intérieur desquelles chaque membres de la famille a sa chambre et peut se retirer derrière un store tissé avec de l’herbe. Car, on vous l’a déjà dit, les femmes aléoutes sont des expertes en la matière.
Ils se déplacent dans des baïdarka, des pirogues en bois imperméabilisées avec des boyaux de phoque qui leur sert aussi pour confectionner des parka tout aussi efficaces que du Gortex. Ils portent des drôles casquettes en bois finement décorées
Personne ne peut vous dire s’ils vivaient heureux en ces temps là, mais toujours est-il que leurs malheurs commencent, comme toujours chez les « natives », lorsqu’à la fin du XVIIème siècle, les Russes débarquent, et installent des comptoirs de fourrures sur les îles occupées par les Aléoutes et en Alaska.
Et l’histoire se répète : On estime à 25 mille la population aléoute à l’arrivée des Russes. Mais les voilà qui meurent par milliers de maladies importées par les colons. La compagnie Russe d’Amérique qui gère les comptoirs les exploitent et les sépare de leurs familles pour les envoyer chasser ailleurs, bref, les utilisent comme des esclaves pour leur lucratif commerce de peaux
Mais Dieu merci, l’Église russe s’en mêle.Tout en convertissant les Aléoutes à la foi orthodoxe, elle fait preuve de plus de mansuétude que les trappeurs. Elle les protège et s’occupe de leur éducation. Elle fait valoir leurs droits devant les tribunaux du Tsar. Le père Ioann Veniaminov, vénéré aujourd’hui encore par les autochtones, étudie leur culture et crée un alphabet pour leur langue. Ainsi, petit à petit, les Aléoutes vont parvenir à s’affranchir un peu de leur triste condition de subalternes. Certains se voient même confier des postes de responsabilité au sein des colonies. Entretemps, force est de constater que les Aléoutes ne se sont visiblement pas privés des plaisirs de la chair avec les Russes (forcés ou consentants, officiels ou non?) car en 1871 déjà, 80% de la population des îles aléoutiennes habitées était mixte. Ainsi, par le mélange les traits asiatiques des Aléoutes s’estompent.
Aujourd’hui encore leur religion orthodoxe et leurs noms de familles russes – américanisés par un f ou deux, au lieu d’un v final) permettent aux Aléoutes de se différencier des Américains (même si ce sont de bons patriotes, dit-on au musée aléoute de Dutch Harbor) et de faire valoir leur culture propre.
Car, il faut le dire, les Américains n’ont pas été très sympas, non plus avec les Aléoutes.
A peine achètent-ils l’Alaska aux Russes pour « deux pièces un quart » ( comme diraient nos amis Québécois qui n’ont rien à voir dans cette histoire), qu’ils se retrouvent estampillés comme « Indiens » par le Gouvernement US qui leur impose les lois US. L’américanisation des Aléoutes commence. Interdiction de parler unangan ou russe. Dans les familles comme à l’école. Comme toutes les « first nations », les voila forcés de se fondre dans le melting pot. Beaucoup d’entre eux iront s’intégrer sur le continent, ce qui soit dit en passant se comprend au vu de l’isolement et du climat pourri, brumeux, humide, venteux qui règne dans leur « homeland » insulaire. Sans compter les éruptions volcaniques !
Éclate la seconde guerre mondiale, à laquelle participeront aussi des Aléoutes qui s’engagent dans l’armée américaine. En 42, les Japonais débarquent à Attu et déportent les habitants du village (42 Aléoutes) à Hokkaido, comme prisonniers de guerre. Les Américains préparent la riposte pour libérer les Aléoutiennes qui, peuplées ou non, font tout de même partie officiellement de leur territoire. Du coup, plus de 800 résidents aléoutes sont virés de leurs villages pour faire place à la Navy et à l’ US Air Force. Les voilà convoyés par bateau sur le continent et parqués dans des conserveries de poissons abandonnées où ils sont eux aussi abandonnés, pendant trois ans, à une condition de vie épouvantable, sans sanitaires, sans électricité, avec à peine de quoi boire et manger. Beaucoup d’entre eux en mourront.
Après la guerre les Aléoutes pourront rentrer dans leurs villages pour reconstruire leur vie. Et en 1988 l’Aleut restitution Act, est considéré comme une façon de dédommager les survivants, en leur rendant leurs terre. Selon les derniers recensements, ils seraient aujourd’hui 20 à 22’000. La plupart d’entre eux travaillent dans le domaine où ils sont toujours excellé : la pêche.
Voilà. Vous savez tout. C’était bien la visite au musée des Aléoutes de Dutch Harbor ?
Cet article dit l’essentiel sur les Aleoutes ( j’étais nulle en effet sur ce sujet) et donne envie d’approfondir . Mais pas forcément de se rendre sur leur iles, vu le rude climat décrit ici.
Zoologue de formation, je me suis intéressée aux Aleoutes en découvrant l’existence d’un animal inconnu pour moi ( et pour cause, il a disparu il y a 200 ans), la Rhytine de Steller. Prise pour une sirène par les marins partis avec Vitus Bring pour explorer la région qui portera son nom, elle a été ensuite exterminée par les pêcheurs . En réalité , il s’agissait d’un proche parent du Lamentin, mais de la taille d’une petite baleine , ce qui causera sa perte.
Merci et bonne route !
Line Chokron, ingénieur écologue,
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