(Par Sylvie)
Mais qui sont donc ces drôles de sirènes palmées qui s’exhibent sur les murs des maisons de l’île de Jeju ?
Ce sont les Haenyo, les « femmes de la mer ». De sacrées nanas qui s’en vont pêcher en apnée, jusqu’à 20 mètres de profondeur, les tourteaux, les conques et autres fruits de mer qui se vendent à prix d’or sur les marchés. Glorifiées, presque mythifiées, les Haenyo sont devenu au fil du temps des figures de légende sur leur île d’origine qui leur a dédié un musée et les promeut comme label touristique.
Leur histoire centenaire a ému et inspiré plus d’un artiste, comme à Gimnnyeon, paisible et prospère village de pêcheur, où le sculpteur Lee Hyun Yong leur rend un hommage au grand jour.
Belle revanche pour ces ondines courageuses et endurantes qui furent longtemps méprisées, parce issues des classes les plus pauvres. Il leur aura fallu près de deux siècles de vie miséreuse et harassante pour que leur profession et leurs mérites soient enfin reconnus.
La première mention sur les Haenyo de Jeju daterait de la fin du 18ème siècle. Jusque là, semble-t-il, la pêche était l’apanage des hommes. Pourquoi les femmes se sont-elles mises à plonger et à s’approprier cette profession en chamboulant l’ordre social en vigueur ? Pour une histoire d’impôts. C’est du moins l’explication que je retiens parmi d’autres : Les hommes devaient s’acquitter d’une lourde taxe sur la pêche auprès de sa Seigneurerie. Mais pas les femmes qui comptaient pour beurre et qui donc furent envoyées au turbin, au fond de l’eau pour nourrir la famille, tandis que leurs époux s’occupaient des enfants. Pour tenter de lutter contre cette fraude fiscale légale, sa Seigneurerie émit un décret interdisant aux femmes de plonger, pour cause de nudité (le burkini n’était pas encore à la mode et les combinaisons néoprène non plus )
Las, l’habitude était prise et dans la province de Jeju, le métier de Haenyo s’était imposé dans les mœurs de mère en fille, en même temps qu’un étonnant matriarcat. À 12 ou 13 ans, les petites filles s’aventuraient déjà en mer, en s’appuyant sur leur taewak ces indispensables flotteurs de joncs qui faisaient partie du matériel de pêche. A 15-16 ans elles commençaient leur apprentissage de la plongée, pour passer professionnelles deux ans plus tard. Quinze jours de travail en moyenne par mois : quelle que soit la saison, de 7 h à 14h, elles plongeaient. Même enceintes. C’est ainsi que de pauvresses, les Haenyo sont devenues riches. Leur lucrative activité fit la fortune économique de leur l’île (en 1960, la récolte des Haenyo, apportait 60% des bénéfices des poissonneries de Jeju) et essaima sous d’autres cieux et dans d’autres eaux, jusqu’au Japon.
Celles que nous avons rencontrées sortaient de l’onde sur l’île de Sorido, avec leur combinaisons néoprène, ppalli, ppalli, (vite vite, comme toujours en Corée), et leur bassines pleines de coquillages délicieux. Une heure plus tard, ils étaient dans nos assiettes.
Mais faut-il pour autant regretter la lente disparition de ce métier de forçat ? Car les Haenyo sont vieillissantes. Relativement jeunes nos pourvoyeuses de fruits de mer étaient accompagnées d’une plongeuse plus que sexagénaire, alors que certaines continuent d’aller chercher leur or en coquilles jusqu’à l’age de 80 ans. Mais la relève désormais se fait rare et les héroïnes sont fatiguées. On le serait à moins.