(par Sylvie)
Mais qui sont ces femmes en robe longues et portant coiffe qui travaillent ou vont faire leurs courses au supermarché de Homer? ? Pas des Musulmanes,ni des Roms. Non, ce sont simplement des membres des communautés de Vieux Croyants russes qui se sont installés en Alaska. Une poignée d’irréductibles, rescapés du schisme qui a déchiré l’Église orthodoxe russe au XVII siècle, lorsque le Patriarche Nikkon soutenu par le Tsar, a instauré des réformes.
Aux environs de Homer, la communauté de Kachemak Selo compte une centaine d’habitants, dont 47 enfants scolarisés sur place. Impossible d’accéder au village à marée haute. Et à marée basse, mieux vaut laisser la voiture sur la route en terre et descendre à pied jusqu’au rivage, en suivant le chemin qui borde la forêt d’où nous avons vu surgir un ours noir à dix mètres de nous. Une rencontre inattendue qui l’a mis instantanément en fuite. La surprise nous a cloués sur place autant que le paysage époustouflant.
Passé le petit pont en bois on est prévenu à grand renfort de panneaux: Keep out, entrée interdite, propriété privée.
Pourtant, nous sommes reçus très amicalement par Hena, la jeune secrétaire de l’école publique, sur recommandation de notre amie Suzanne qui a enseigné deux ans là-bas, en robe longue – par respect pour les élèves – . Les jeunes que nous rencontrons dans une classe ont entre 12 et 14 ans. Ils parlent anglais ( langue dans laquelle les cours sont dispensés) et le russe. Les jeunes filles portent toutes une sarafane (robe traditionnelle) mais sans coiffe, puisqu’elles ne sont pas mariées. Les garçons, pour la plupart, des chemises de moujiks à col fermé, sur des jeans. Ils sont curieux, ils nous posent des questions très pertinentes sur notre voyage et s’en vont à la maison pour le lunch, en pianotant sur leur I phone.
Car les Vieux Croyants de Kachemak Selo ont bien du mal à conserver leurs très strictes règles de vie (nourriture strictement limitée au produits de la terre et au home made, religion qui empêche toute activité le dimanche etc.) dans un environnement moderne américain. Leurs ancêtres victimes des persécutions tsaristes avaient fui vers la Sibérie et plus loin, dans le Primorié. Puis la révolution bolchevique les a poussés jusqu’en Chine, en Amérique latine ou encore aux États-Unis. D’abord dans l’Oregon, puis par nécessité économique en Alaska où l’on peut bien gagner sa vie en pêchant. Presque tous les hommes de Kachemak Selo sont pêcheurs. Dans le port de Homer on les reconnaît facilement à leur grandes barbes touffues et à leur drôle d’accent russe. La communauté possède aussi un cheptel de vaches et cultive quelques champs, face aux glaciers de la péninsule de Kenai.
Les habitants du village se sont installés là, il y une quarantaine d’année, suite à un différent avec les traditionalistes de Nikolaiev, situé à mi chemin entre Homer et Anchorage. Ils ont suivi la branche des Vieux Croyants non presbytériens qui refusent la hiérarchie religieuse. Ils ne voulaient plus de pope pour les guider. D’ailleurs l’église de Kachemak Selo n’est pas une église, mais une maison comme les autres, sans véritable signe distinctif.
Ils ont acheté un vaste territoire dans la baie de Kachemak, assez vaste pour qu’il puisse contenir pendant longtemps encore leur nombreuse descendance ( 9 à 10 enfants par famille). Seulement voilà. Une fois adulte, les jeunes Vieux Croyants presbytériens ou non, s’en vont vivre à la ville plus près de leur lieu de travail. Tandis que le 21ème siècle fait irruption dans les ghettos traditionalistes les plus reculés. Combien de temps encore verra-t-on des jeunes femmes se promener à Homer en robe longue de coton, été comme hiver ? « Encore deux générations et les communautés d’Alaska seront en voie d’extinction », prédit une enseignante. A moins que les Vieux Croyants – qui parait-il reprennent du poil de la bête en Russie – parviennent comme ils l’ont fait depuis des siècle à résister à toute évolution. Comme les Amish et autres sectes anachroniques qui pullulent aux Etats-Unis.