Nous voilà loin de Majuro, la « grande ville » des Marshall.
Enfin… loin tout est relatif, puisqu’une nuit tranquille de navigation nous a mené à l’atoll d’Aur, tout juste 100 km plus au nord.
Premier mystère : Nous sommes seuls dans ce mouillage parfaitement tranquille. Pas un autre voilier et Jonathan, le professeur d’anglais volontaire, venu de sa lointaine banlieue de Londres nous dit qu’on est le premier voilier qu’il voit depuis son arrivée en août dernier. Pourtant ce ne sont pas les voiliers qui manquent à Majuro. Pas loin d’une trentaine. Beaucoup sont des Américains qui font le yoyo saisonnier entre les Fidji et les Marshall pour venir s’y abriter durant la saison des cyclones dans le Pacifique sud. Mais la plupart ne quittent pas Majuro, son internet, ses supermarchés et l’excellent Tide Table Café. Mais ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre au moment où l’ancre tombe dans le bleu du lagon, juste devant le petit village de Tabal (120 habitants).
Deuxième mystère : Il n’y a pas une seule pirogue sur la plage. Tout juste une barque à moteur. Dans un atoll ? Bizarre ! L’essence coûte trop cher, nous dit-on… ok, mais à Fanning les habitants avaient de nombreuses pirogues à voile et arpentaient le lagon pour y pêcher. « They are too lazy… » trop paresseux, nous dit Bollong, l’Iroj (le chef) du village. « Les jeunes ne savent plus construire un canot » nous précise l’un des instituteurs. « Les vieux n’ont pas transmis leurs connaissances aux jeunes… tout s’est perdu… et un bateau à moteur, c’est beaucoup trop cher… » dans cet atoll où l’on ne peut compter que sur le coprah et un peu d’artisanat pour avoir un petit revenu.
Troisième mystère : Il n’y aurait pas de poisson, ou en tout cas pas beaucoup. Jonathan nous dit d’ailleurs que son menu (riz-poisson) comporte souvent du thon en boîte, alors que celui de sa famille d’accueil se compose souvent que de riz. Pas de poisson ? « Pas ici devant le village disent certains, mais il y en a beaucoup ailleurs dans le lagon, notamment devant l’autre village à Aur, mais on a pas de bateau… » D’autres disent aller pêcher au fusil sous- marin, la nuit dans les coraux devant le village. Et c’est vrai qu’on voit le soir quelques lumières sous l’eau. James lui vient nous demander de pouvoir venir sur Chamade en fin d’après-midi pour pêcher à la ligne, au fond… (Nous sommes mouillé par 15 mètres de fond). Il l’embarque vers 17h et 4 heures plus tard il repart avec 3 perches et un perroquet. Pas terrible comme résultat. Alors poisson ou pas ? Le mystère reste entier. Seule certitude, au milieu du lagon on peut voir les bancs de carangues chasser les aiguillettes et les disputer aux oiseaux. Mais voilà qui renvoie au mystère de l’absence de bateau.
Quatrième mystère : Les bananes. Il y en a, mais là aussi très peu. Le problème, ce serait celui des nombreux cochons en liberté qui mangeraient les jeunes pousses. « A Aur, l’autre village de l’atoll, les cochons sont attachés et ils ont beaucoup de bananes et de papayes… » Mais alors pourquoi n’attachent-on pas les cochons à Tabal ? Mystère…
Dernier mystère, ou plutôt trompe-l’oeil : le niveau de vie du village. En débarquant, tout paraît plutôt cossu. Les maisons sont en dur, bien entretenue, toute disposent de panneaux solaires offerts par la Chine de Taïwan, l’école est presque neuve et très bien dotée… Mais derrière ce décor le niveau de vie semble très faible. Pas de magasins, très peu de ravitaillement, pas même un vélo… le dénuement semble encore plus grand qu’à Fanning. C’est dire…
Mais rien n’est sûr, tout semble mystérieux… comme l’avion que Bollong nous annonce pour demain… « Every thursday… » ce qui fit éclater de rire Jonathan. L’avion, s’il l’a vu trois fois en 5 mois, c’est un maximum. « Marshall Airways… Ici on dit : Maybe Airways… ! »