(Par Sylvie)
Son bonnet vissé sur la tête, son sweat shirt trop grand détrempé, ses pantalons rapiécés, une jeune fille s’est approchée du ponton où Chamade est amarré, dans le port de Kodiak. Une fois encore la question qui rapproche fuse, tintée d’un joli accent américain : « Hi, vous parlez français ? Je peux venir chez vous pour parler ? Je voudrais pratiquer un peu ma français ».
Bienvenue à bord, Madison qui nous dit venir de Boston. Elle parle français parce qu’elle a fait son école primaire en «immersion » dans la langue de Voltaire ( tous les cours donnés en français). Elle sort tout juste de l’université, où elle a obtenu un master en sociologie. Elle a 22 ans. C’est en mai dernier, au début de la saison du saumon qu’elle a débarqué à Kodiak, « pour bien gagner ma vie ».
Comme l’héroine du « Grand marin », le livre de Catherine Poulin, elle a arpenté les pontons en bois du port, à la recherche d’un job. Aucun skipper ne voulait d’elle. Aucun…sauf Dana, capitaine aux yeux clairs, qui après avoir partagé sa vie entre la radio locale de Kodiak et la pêche, a fini par choisir définitivement le poisson plutôt que le micro.
A bord du « Lynx », le senneur de Dana, on ne chôme pas. On pêche. Jour et nuit. A peine quelques heures de sommeil volées par-ci par là, entre deux prises, le corps recroquevillé dans une couchette encombrée et pas plus grande qu’un cercueil.
Madison partage désormais sa vie avec deux autres étudiants. Dana l’a affectée à la gestion du filet, avec un acolyte. L’autre manoeuvre le skiff, le petit canot qui permet de déployer le filet. On lui a aussi attribué le titre de chef de cuisine. Ce dont elle n’est pas peu fière.
En bonne sociologue, elle a trouvé très intéressant d’observer la façon dont les hommes considèrent les femmes dans ce métier : un mélange de condescendance et de paternalisme. On la protège tout en la mettant à l’épreuve. Elle doit démontrer qu’elle peut tout faire comme les hommes. Supporter le froid, la puanteur, la promiscuité au sein de l’équipage. Remonter la senne, porter les caisses remplies au ras bord de saumons.
Parfois, Madison va se réfugier au premier étage. A la passerelle, le royaume de Dana avec qui elle aime causer.
Il lui raconte les lieux, lui explique la nature et la vie des poissons qu’il connaît par coeur. « J’ai eu de la chance de tomber sur un skipper compétent et expérimenté qui ne gueule pas tout le temps comme les autres capitaines. Il est devenu mon ami ». Et Madison d’exhiber comme un trophée la peau de renard que Dana lui a offert à leur retour de pêche.
Car la saison se termine. Dans le port de Kodiak on range les filets et on nettoie les bateaux. Le 3 septembre Madison reprendra l’avion pour Boston, avec ses joues roses et ses nouveaux muscles de déménageur. Elle est heureuse. Elle a gagné en trois mois 20’000 dollars, soit l’équivalent de 10 % de la recette du Lynx. Le Grand Marin, c’est elle !
Elle va pouvoir se payer cet automne un super voyage en Europe. En Hongrie, en Espagne et surtout en France. Nous lui avons amicalement conseillé de pas prendre son étole de renard avec elle.