Dans le Peel Sound, de Resolute à Gjoa Haven, 400 milles nord-sud, la clef du Passage du Nord-Ouest. Là où tout se joue, où les glaces peuvent tout compromettre, où la banquise dérivante revient régulièrement bloquer le carrefour entre Barrow Strait et Peel Sound, où cette même banquise, poussée par les coups de vent de nord-ouest, se referme sur les bateaux à l’approche du Ross Strait. Banquise ? Vous avez dit banquise ? Pas le moindre « floe » à l’horizon, pas le moindre glaçon dans une mer à 6°C. Passage clef ? Mais pour quelle serrure désormais ? J’avoue que je suis un peu déçu. Non pas que j’espérais devoir batailler dans la glace ou risquer un hivernage involontaire. Mais que sont ces régions du Grand Nord sans la glace ? Sans cette banquise, cette glace si intrinsèquement liée aux émotions que procurent ces régions mythiques ? Nous savions que le réchauffement climatique avait changé la donne, que c’était même un facteur décisif de notre capacité de franchir ce Passage avec Chamade. Mais pouvions nous imaginer qu’il avait changé la donne à ce point là ? Qui donc a cassé la serrure ?
Reste malgré tout l’isolement, l’austérité grandiose de ces lieux, ce sentiment de solitude, d’isolement total. Et le souvenir de cette étape entre une île sans nom sur la carte (72°52N / 95°47W) et un fjord lui aussi sans nom (72°05N / 95°06W). 55 milles de surfs sauvages avec 25 à 30 nœuds, sous un crachin glacial. Le Grand Nord sait se rappeler à notre bon souvenir !
PS technique : Sur toute cette portion du Passage du Nord-Ouest, les instructions nautiques soulignent que le compas (la boussole) est inopérant. Et par conséquent le pilote automatique aussi. En fait nous n’avons dû barrer que sur un tiers du parcours. Lorsque le vent est suffisant, le régulateur d’allure Windpilot fait parfaitement son office (pilote purement mécanique basé sur la force et la direction du vent) et lorsque, comme c’est le cas en ce moment, la mer est d’huile, le pilote électronique maintient un cap correct, même s’il lui arrive parfois de faire de grosses embardées. En réponse à un commentaire du blog, je précise que le pilote électronique de Chamade peut être relié au GPS, mais qu’il utilise quand même le compas magnétique comme référence.
Pour garder le cap, surtout dans le brouillard, assez fréquent ces jours, nous avons installé devant le barreur un petit GPS de randonnée, et utilisons sa fonction « Go To » pour nous indiquer la route à suivre. Quelques zigzag au départ, mais avec l’habitude, nous tenons un cap excellent. Côté météo, c’est tout ou rien. Si les prévisions envoyées par Michel, notre routeur, indiquent des vents allant de 10 à 15 nœuds, nous avons eu en fait soit « tout » (25-30 nœuds) soit « rien » du tout. Beaucoup de moteur en conséquence.