(Par Sylvie)
Depuis que le Maupiti Express a fait faillite, la plus inaccessible et la moins visitée des îles Sous le Vent est encore plus isolée de ses sœurs de l’archipel et en pénurie chronique. Contrairement à Bora – son ennemie historique- qui se trouve à une trentaine de milles, elle a refusé le tourisme de luxe. Elle a voulu garder son âme simple et paisible, ne développant l’hôtellerie que sous la forme de petites pensions de familles, installées sur les motu ou sur la longue langue blanche d’une plage de cinéma.
De loin, Maupiti ressemble à un château de sable écroulé, mais en s’approchant, on découvre une forteresse naturelle, née d’une vieille roche volcanique recouverte en bonne partie de végétation. Lui restent comme des murs d’enceinte et, en guise de tour de garde, un imposant pain de sucre qui surplombe la passe. C’est qu’on n’entre pas sans autre dans le petit lagon émeraude de Maupiti.
Il faut être vigilant pour s’enfiler dans l’étroit goulet de la passe : la houle ici peut s’avérer despotique. Si elle vous laisse pénétrer dans les eaux calmes, il n’est pas dit qu’elle vous laissera en sortir quand bon vous semble. Remarquez que ce n’est pas la pire des choses qui puisse vous arriver, de rester prisonnier à Maupiti. Car outre les raies manta, le lagon abrite un millier d’habitants qui vous font volontiers la causette.
Rien de tel que de gravir le Mont Teurafaatiu et ses 350 m d’altitude pour prendre la dimension du « royaume ».
Vu les dimensions de l’île (11 km) on peut facilement en faire le tour à pied ou à vélo, en passant devant les deux rangées de petites maisons qui, dos à la montagne, bordent l’unique route. Sans doute étaient-elles plus authentiques, avant le passage du cyclone Osea, en 1997. N’empêche, elles sont avenantes et toujours entourées de jardins dans desquels toute l’ascendance familiale repose en paix. Qu’importe si leurs tombes (parfois mausolées recouverts d’un toit) occupent la presque totalité du terrain, qu’importe si les enfants jouent dessus ou si l’on s’en sert comme cabane à outil. Les morts squatteront pour l’éternité la terre où ils ont vécu et qu’ils ont laissée à leurs descendants. Ils demeurent parmi les vivants et la cohabitation va de soi. « Jamais sans mes aïeux » ! Pour les Polynésiens c’est une garantie de protection.
On comprend que les anciens de Maupiti soient ostensiblement remerciés. Ils ont légués à leurs enfants de quoi subsister, en fruit et légumes. Parce que pour le reste, Maupiti vit en pénurie chronique. Désormais, le ravitaillement se fait une fois par mois quand tout va bien, par le bateau administratif incapable de suppléer à la ligne régulière de la goélette qui a sombré dans les chiffres rouges. Mais si les congélateurs des 4 épiceries de Vai’ea crient famine quinze jours à peine après le passage du bateau, tout le monde semble s’en accommoder. Ici, loin de tout, on a l’habitude du précaire, du fortuit, de l’aléa, de l’improvisation. Ainsi, lorsque le bruit a couru dans le village qu’un dentiste bienveillant fraisait gratuitement sur son voilier, les habitants de Maupiti qui doivent aller se faire soigner à Bora, n’ont pas raté le coche. Restait à le trouver ce dentiste, parmi les voiliers au mouillage. Plusieurs fois nous avons dû nous défendre d’être des arracheurs de dents. Un matin de bonne heure on est venu frapper sur la coque de Chamade pour nous demander des soins:
– Ah, ce n’est pas ici ? Désolés. Avec le « drapeau de la pharmacie » on a cru que c’était le bateau du dentiste !
Et pan dans les gencives de l’orgueil national !
P.S: Demain, après 3 jours de calme plat quasi absolu, l’alizé annonce son retour. Nous franchirons donc la passe pour mettre le cap au nord-ouest sur Penrhyn dans les îles Cook du nord. 550 milles (1000km ) à parcourir en 4 à 5 jours. C’est donc ainsi à Maupiti que Chamade quitte la Polynésie française après une séjour magnifique de près de 6 mois.