Ne perdons pas le Nord

Après Resolute, nous avons cru quelques temps naviguer dans le Grand Nord : ciels bas menaçants, brouillard, température chutant jusqu’à 3 degrés. En vrai régal. Nous avons remis quelques couches de polaire, ressorti les soupes réconfortantes après le quart passé à barrer puisque le pilote automatique perd la boule à proximité du pôle magnétique.












Le premier mouillage où nous jetons l’ancre ne porte même pas de nom sur les cartes. Nous sommes au creux d’un archipel rocheux, au milieu de nulle part. Plus sinistre et désolé, tu meurs. Mais c’est majestueux, d’immensité et de silence. Pas même le cri d’un oiseau, pas même le clapotis d’une vague. L’eau est lisse comme la roche anthracite que nous foulons. Dans les lichens, nous découvrons un crâne d’ours aux dents acérées. Nous aussi, nous avons la dalle. Cette bruine glacée qui vous pénètre ça creuse. Un bon repas chaud dans le ventre de Chamade et la promesse d’un long sommeil tranquille. C’est tout ce qu’il nous faut. Mais à quatre heures du matin, nous sommes chahutés par une méchante houle. Adieu Morphée, adieu le petit déjeuner. On lève l’ancre, on hisse la grand voile (eh oui il y a du vent) et on s’enfonce dans le brouillard, radar allumé. Dans ces heures de longue navigation, la vie à bord reste comme suspendue. On lit un peu (enfin ceux qui peuvent) on dort beaucoup. On se croise furtivement entre le carré et le cockpit, chacun se recroqueville dans son sac de couchage, dans son cocon. Jusqu’à la prochaine halte : un petit fjord non baptisé au nord de l’entrée du Bellot Strait. Il fait trop moche pour mettre le nez dehors et le dinghy à l’eau. On écrit, on flemmarde, on digère tous ces miles engloutis presqu’à l’aveugle. Et qui voit-on le matin, lorsque le ciel se déchire un peu ? Qui voit-on qui nous guette du haut d’un promontoire ?














Un ours polaire solitaire très attentif à nos manœuvres de départ. Il est le seul être vivant que nous rencontrons durant toute la descente du Peel Sound, avec quelques goélands et des phoques pas téméraires pour un sou, qui s’approchent un peu du bateau, jettent un œil et replongent aussitôt d’où ils viennent ( raté pour la photo). A l’entrée du Ross Strait, nous aurons tout de même l’occasion d’échanger quelques mots par VHF avec les Néo-Zélandais du voilier « Coocoon » qui traverse le passage du Nord-Ouest en sens inverse. Ils ont eu de bonnes conditions de navigation, sans glace non plus et ils ont trouvé le paysage très « flat ». Ici aussi, ça devient très « flat ». La nuit a commencé à descendre au même rythme que nous descendons vers le sud. Et le soleil qui a flambé toute la nuit entre l’eau et le ciel plombé, s’est levé tardivement sur des langues de terres blondes, qui s’étirent comme des colombins de pâte à modeler au dessous des nuages. Entre les unes et les autres c’est un curieux jeu de mimétisme qui s’instaure pour projeter sur l’eau une silhouette fuselée. Si je vous montre les photos, vous allez croire que nous sommes partis naviguer dans l’Océan indien. Mais je vous jure que nous sommes bien dans le mythique passage du Nord-Ouest quelques milles de Gjoa Haven que nous allons gagner dare dare…car avis de coup de vent prévu pour demain…

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