(Par Sylvie)
Plus on se dirige vers les icebergs, plus la glace se rompt avec les habitants. Passé Manitsoq, on s’est fait plein de copains et de copines. Il faut dire que nous nous sommes mis assidûment au Kalaallissut, l’idiome local. A raison d’une leçon par jour nous parvenons à dire aluu (bonjour), (takus), bye-bye, par ce que c’est moins compliqué qu’au revoir, et kujanaq (merci). Ça aide dans les relations humaines ! Surtout lorsqu’on nous aborde dans un anglais sommaire, comme Ninna qui se baladait sa bouteille de bière à la main, dans une des deux artères de Kangamiut.
Elle a grandi dans ce petit village de pêche où elle est revenue juste pour fêter les 80 ans de son père. Parce qu’en temps normal où l’amour filial ne la travaille pas trop, elle habite à Manitsoq, avec son petit ami. « Here not good ». Ninna s’empresse de relever de l’odeur (imperceptible au nez des ignorants) sensée se dégage des petits sacs poubelles à excréments, qui s’alignent devant les maisons. A Manitsoq, c’est « mmmuch… better ». Ohlàlà, l’anglais dérape dans la bouche pâteuse de Ninuu qui de son propre aveu a trop bu de bière, s’excuse et prend congé pour aller voir si le bar du village est ouvert. « Takus, Ninna ».
Personnellement, je trouve que Kangamiut, avec ses maisonnettes colorées, sa poste, son église, son mini marché à poisson qui sert de bistrot aux pêcheurs et ses deux rues- à demi asphaltées- ouvertes à la circulation dantesque d’un quad, d’un tracteur et d’une colonie de bébés en poussettes, c’est « much better » que les immeubles de Manitsoq. Mais chacun ses goûts et ses nécessités. Ici pour aller à l’école supérieure, il faut s’exiler dans les « grandes ville », d’où on ne revient généralement plus. Reste tout de même une turbulente jeunesse pour nous accueillir au débarcadère de Kangamiut où nous accostons en catastrophe, la sortie de refroidissement du moteur bouchée par une algue.
Et puis il y a Hans, drôle de Robinson, émigré à l’envers. Né au Danemark, il a échoué il y a vingt ans à Kangamiut où il tient la seule échoppe du village (en plus de l’incontournable supermarché) qui tient à la fois de la quincaillerie, de la mercerie, de l’épicerie et de la boutique souvenirs. Nous échangeons quelques mots par Thomas interposé, parce que Hans ne parle que danois, langue que Thomas norvégiophone confirmé arrive plus ou moins à capter. Mais la conversation reste forcément limitée. Dommage… qu’est-ce qui a bien pu inciter cet homme à se fixer dans cet îlot perdu ? La religion, la science, l’amour, la dérobade ? Je préfère imaginer que de lui poser la question.