Quelles vies! Elles sont tellement aux antipodes des nôtres. Tellement plus implacables, rudes, irrémédiables. Dictée par une nécessité absolue de tout braver, pour exister, dans n’importe quel lieu, n’importe quelle circonstances. Ce sont les vies que mènent les gens à Puerto Eden et se confondent parfois, avec l’histoire de la colonisation de la Patagonie.
Don José
Honneur aux vieux : « j’ai cinquante ans (cincuenta) parce qu’après… sin cuenta » (on ne facture plus ). Petit bonhomme chétif et un peu courbé, Don José nous reçoit à toute heure dans son hospedaje ( maison d’hôte ) où l’on peut aussi partager un bon repas avec ceux qui sont là. À notre table, Matthias, l’infirmier du dispensaire en attente d’une maison où il peut tenir debout sans se cogner la tête ( celle qu’il avait trouvé n’était pas à sa taille). Heureusement qu’il est là Matthias, pour nous aider à comprendre le chilien mâchouillé de notre hôte.
Un personnage respecté, ce Don José. Ancien cadre de la marine chilienne, responsable de la maintenance du phare de San Pedro à l’époque ( 1937) où le Chili créa une base aérienne à Puerto Eden. il s’y installe dans les années 60. Juste avant que le village devienne officiellement une commune chilienne florissante de 600 habitants. Avant la terre appartenait au premier venu. Et les premiers furent les nomades Kawesqar (ou Alakaluf ) chasseurs de phoques nomades, puis les Huilliches, exilés de Chiloé. La rencontre avec les colons chiliens, sera, comme toujours le début du déclin d’une population décimée par les maladies vénériennes, que la société matriarcale des Kawesqars ( une femme pouvait avoir au moins 3 partenaires et échangeait facilement son corps contre des pacotilles ) a propagé à la vitesse grand V. Tout ça pour dire qu’avant la marée rouge, le nombre d’habitants de Puerto Eden avait déjà drastiquement baissé.
À peine installé dans la nouvelle commune, Don José s’attela à créer un réseau d’électricité et d’eau pour le village, tout en développant sa propre entreprise de pêche, florissante, elle aussi. Quelques déboires avec son associé, puis le Covid et patatras, tout s’est écroulé. Aujourd’hui, Don José, toujours vieux garçon, gère l’hospedaje de Puerto Eden, en espérant relancer rapidement son business, dès que sa chambre froide sera réparée, que la pêche à la centolla ( araignée de mer géante) aura repris et que les algues rouges seront reparties. Pourquoi pas. Après tout Puerto Eden fait partie de la Province de la Ultima Esperanza.
Isa, la débrouille.
Elle est née à Puerto Eden, Isabella Negue s’est fait une solide réputation dans la région. Son nom figure même sur les guides nautiques de Patagonie, parce qu’elle est la reine du ravitaillement des voiliers. Depuis son coin de terre, armée de son smartphone Isa voit loin. Elle a ses réseaux, elle commande ce que tu lui demandes à Puerto Natales, gère son Almacen (petite épicerie) avec la même énergie qu’elle met à faire pousser ses salades et autres plantes aromatiques dans sa serre,
Elle fume le poisson que lui rapporte son mari, lequel nous fournit du fuel en tirant fort sur le col de son sweat-shirt pour nous montrer qu’il a chaud : « qué calor ! » Il fait à peine 13 degrés et nous sommes en doudounes. Notre ami prendra un deuxième coup de chaud lorsqu’on lui dira qu’il y avait de l’eau dans son fuel ( merci au filtre qui nous a évité la catastrophe) et il nous en redonnera en rab (du fuel, pas d l’eau).
Isa et son pêcheur-pompiste de mari ont trois enfants, un garçon de 25 ans qui travaille à Puerto Natales, une fille de 13 ans qui fréquente l’école de Puerto Eden ( à 15 ans, si elle veut poursuivre ses études, il lui faudra partir à Puerto Natales, vivre chez des parents, comme dans les îles de Polynésie française ) et un petit d’un an et demi, costaud et rond comme sa maman.
Isa n’a jamais quitté Puerto Eden et n’a aucune intention de s’exiler ailleurs, malgré l’isolement et les vicissitudes de la vie. Internet et un petit terminal pour les payements par carte de crédit lui suffisent.
Marcella, la Pénélope de Puerto Eden
Elle coud, derrière sa fenêtre qui donne sur la passerelle. Elle coud ( et découd?) en comptant les jours qui la séparent du moment où elle pourra quitter ce maudit village de Puerto Eden. C’est dimanche, Marcella est à l’ouvrage. Elle nous fait rentrer dans son atelier. Elle nous montre les petits pingouins de laine qu’elle confectionne pour essayer de gagner sa vie.
Elle nous le dit tout de go: dans trois ans quand mon mari sera à la retraite, je quitte Puerto Eden. Ici on ne peut plus vivre, c’est trop dur. Il faut emmener chaque matin le gamin à l’école, en bateau par peur des chiens errants ( l’école se trouve à 25 minute à pied par les passerelles). Ça coûte en benzine et il n’y a plus de travail. Pourtant la maison de Marcella, tout au bout du village est sans doute la plus neuve et jolie. Son petit garçon, Juan Guillermo arrive avec un gros paquet de chips dans les mains. Son père, est en train de lui monter une tente dans le jardin. Ils n’on pas l’air de crever la dalle. Après avoir acheté deux pingouins pour 10.000 pesos ( env 10 fr ), nous engageons la conversation avec Guillermo père. Il n’est ni plus ni moins que le garde forestier du parc national O’Higgins qui entoure Puerto Eden ( pour un salaire de 600 dollars/mois). Il semble moins pressé que sa femme de quitter son Eden dans cette île de Wellington. Mais tout de même. La retraite ailleurs, c’est un beau projet.
La balade dominicale du carabinier
Nous les croisons au cours de leur promenade du dimanche qui consiste à parcourir les passerelles en bois d’un bout à l’autre du village. Carlos, le carabinier, sa femme et leur fille. Ils habitent Puerto Eden depuis trois ans. Ils n’ont pas choisi, mais lui a été affecté ici. Elle cuisine pour la cantine de l’Ecole ou la petite Carmen fait partie du groupe ( 3 élèves ) des petits. Il leur reste 2 ans à tirer, mais ça ne leur pèse pas. Ils aiment bien Puerto Eden. C’est un endroit tranquille. Pas de circulation, pas délinquance. Rien. Tranquille.
Les baleiniers du XXIème siècle
Elle c’est Keri et lui, Greg, vagabonds des mers venus de Nouvelle Zélande. Il déboule dans son dinghy pour venir nous saluer. Son voilier de recherches est dans la baie d’à côté. Nous l’avons vu en passant. « Vous voudriez prendre une douche ? Pas de problème j’appelle ma femme« . Et nous voilà devant un thé, dans la cuisine délabrée de Kerry à attendre notre tour pour accéder à notre sésame de bien-être après les baignades vite fait bien fait dans les eaux glacées de la mer ou des rivières. Deux jours plus tard, nous nous retrouverons chez eux pour une spaghetti party, agrémentée d’un concert familial auquel tout le monde participe
Mais qu’est-ce qu’ils fichent depuis dix ans à parcourir cette région de Patagonie en bateau ? Ils traquent les baleines. Les baleines mortes, les baleines échouées. Grâce à la Fondation qu’ils ont créé et qu’ils financent par des dons privés, ils emploient des scientifiques et des volontaires, chiliens ou non, à faire des recherches pour essayer de comprendre pourquoi la mortalité des baleines est nettement plus importante en Patagonie chilienne qu’ailleurs. Serait-ce le réchauffement climatique ou les algues rouges, serait-ce le poison des élevages de poisson ? Des hypothèses, rien que des hypothèses qui pourraient se confirmer en étudiant le comportement de baleines vivantes. Keri et Greg écument donc la région, généralement à bord de leur voilier. Ils ont fait de Puerto Eden leur camp de base. Ils vivent dans des conditions précaires, car leur passion pour les baleines est devenu un sacerdoce. Alors tant pis si Eden n’est pas le paradis sur terre.
Merci Sylvie et Marc pour ces récits magnifiques qui nous font voyager..bien assis au coin de la cheminée !
Biz a vous deux
Hello !
Merci pour ces récits sur les habitants de Puerto Eden et sur leurs occupations.
Je penserai à vous lorsque je prendrai ma douche bien chaude.
Amitiés à vous Tous,,Prenez soin de vous. Françoise
Merci pour ces portraits et reportages
Je suis bien en retard, mais ce n’est pas grave.
J’aime beaucoup votre style.
Merci