Une ruée vers l’or noir en pleine nuit polaire
Le 2 août dernier, un petit sous-marin plantait un drapeau russe au fond de l’océan glacial arctique, tout juste au pôle nord. Un exploit scientifique et médiatique, mais aussi ne manière d’affirmer la revendication de Moscou sur ces fonds marins qui sont riches de promesses en matière de pétrole et de gaz. Des fonds que se disputent Russes, Américains, Canadiens, Danois et Norvégiens.
4 mois et demi plus tard, la nuit polaire s’est installée sur la région. Mais on s’agite dans l’obscurité. L’exploitation et l’exploration pétrolière continuent de plus belle dans les flots glacés de la mer de Barents. Côté russe, le gisement de Shtokman fait tourner les têtes. Le plus gros gisement offshore de gaz de la planète devrait être exploité d’ici 5 ans. De leur côté les Norvégiens inauguraient en octobre 2006 le plus grand terminal gazier d’Europe à Hammerfest, à quelques kilomètres du Cap Nord.
Pour découvrir cette nouvelle course au pétrole dans le « Far North », nous vous emmenons dans la nuit de Mourmansk, d’Hammerfest ou de Tromsö.
Nuit noire :
Par le hublot, c’est la nuit noire. Depuis un bon moment maintenant l’avion descend. Les ailerons sont sortis, le train d’atterrissage aussi. Pourtant par le hublot, pas la moindre lumière, pas trace de vie. Soudain les lumignons de la piste, le choc des roues sur le béton et les chaos d’une piste que ne date manifestement pas d’hier.
Bienvenue à Murmansk. Il est 22h30, il neigeote, et les projecteurs du tarmac exhalent une lueur orangée dans le brouillard glacé. Murmansk Airport, à plus de 30 kilomètres de la ville est posé en pleine taïga. Il n’y a rien, rien d’autre que ce petit bâtiment qui vous éjecte bien vite dans la neige et la nuit glacée. Il fait -15°. Presque doux pour cette fin novembre.
Une dizaine de taxis vous attend. Il y en a toujours un qui parle anglais : « Murmansk ? 80 dollars » Heureusement que ma traductrice m’a expédié un petit SMS avec le « tarif normal ». Je montre l’écran du portable : 600 roubles. Rires, hauts cris, mais je m’en tire à 800, soit 30 dollars. Pas mal pour un blanc-bec !
Une demi-heure de route et c’est l’entrée en ville. Des blocs, des blocs par dizaines, des fantômes gris, si caractéristiques des villes soviétiques, des quartiers successifs le long de l’estuaire où Murmansk a été construite de toutes pièces au 20ème siècle. 350’000 habitants – 450’000 il y a 15 ans au moment de la chute du régime soviétique – la plus grande ville jamais construite au nord du cercle polaire. A presque minuit, personne sur les routes. Le taxi, une vieille Volga fonce sur la route enneigée, pas de soucis, ici ils ont l’habitude.Le taxi freine devant l’hôtel Poliarnie Zori – littéralement : l’aube polaire – je m’y engouffre et l’ambiance change : ici on parle on s’interpelle en anglais et en norvégien. L’hôtel, comme tous les six que compte la ville est complet. Tout occupé par le monde du pétrole.
Bienvenue à la Sevtek, la foire du pétrole et du gaz de Murmansk.
bonanza: http://news.bbc.co.uk/2/hi/business/6103388.stm
Shtokman : La caverne d’Ali Baba
Petit déjeuner aux chandelles ce matin, puisqu’il fait encore totalement nuit. A cette saison le soleil ne se lève plus, ne laissant qu’une lumière de crépuscule entre 10 et 15 heures. Au buffet un homme arbore une veste polaire « Tribord », une marque française. Il est seul, je l’aborde, il parle bien français et m’invite à sa table. C’est un ingénieur de chez Total, spécialiste des forages offshore. Pas question de parler dans un micro, les règles de l’entreprise l’interdisent, mais il raconte volontiers, comme ça, en « off » qu’il est bien là pour s’occuper de Shtokman.
Shtokman le gisement mythique, celui qui fait rêver russes et occidentaux. Le plus gros gisement de gaz offshore du monde. Son exploitation devrait commencer d’ici 5 ans. Et c’est l’objet de tous les marchandages. Pour faire bref, Gazprom, la compagnie d’état russe en a les droits mais pas toute la technologie et pas non plus le financement. Elle doit donc s’allier. Pas question de la faire avec les Américains, résultat ce sont les Norvégiens qui ont emporté le contrat, avec en troisième Total qui va s’occuper des forages. C’est la raison de sa présence ici. Notre homme doit notamment trouver de l’acier pour ses futures plateformes. Et le temps presse, d’ici 5 ans les Russes veulent en commencer l’exploitation. Autant dire que Murmansk bruisse de toute part. Dans le brouillard glacial de la nuit polaire chacun affûte ses armes.
http://www.offshore-technology.com/projects/shtokman
Russia ahead in Arctic ‘gold rush’ http://news.bbc.co.uk/2/hi/in_depth/6925853.stm
Murmansk : La renaissance
10 heures du matin : première surprise dans le jour naissant. Le naufrage du Koursk et les reportages de l’époque m’avaient laissé une impression de ville lugubre. En fait le centre ville est plutôt sympathique. L’avenue Lénine est bordée de bâtiments officiels des années 50 de taille moyenne. Une haie de lilas, spécialement sélectionnés pour supporter les rigueurs du climat, font office d’arbres. Tout est blanc. Le froid et la neige tombée la nuit n’ont pas viré à la purée sale.
Les rues cachent plein de petits cafés où l’on vous sert cappuccino, café viennois et pâtisseries. Ici on soigne la vie intérieure. C’est dans l’un d’eux, derrière l’avenue Gagarine que Rita mon interprète a donné rendez-vous à 3 de ses amies. Toutes des anciennes étudiantes de la faculté des langues étrangères. Elles sont venues pour le plaisir de pratiquer le français. C’est vrai qu’elles n’en ont que rarement l’occasion. Les touristes sont rares et pour le business c’est en anglais. Toutes ont fini l’université en juillet dernier et toutes ont déjà du travail. Alexandra dans une compagnie maritime, Tatiana dans une agence immobilière et Marina dans l’administration portuaire. Elle m’expliquent qu’on vit bien à Murmansk, que le salaire moyen de 450 dollars y est plutôt supérieur à la moyenne russe et que le chômage est très réduit (1% selon les chiffres de la mairie). Et toutes veulent rester. La déprime généralisée qui a suivi la fin du communisme est oubliée. La ville ne dépend plus seulement de son port stratégique. La pêche aujourd’hui, et le pétrole demain, les perspectives économiques sont bonnes. Et toutes reconnaissent que la qualité de la vie y est bonne. Bien meilleure qu’à Moscou où elles ont de la famille.
Même l’hiver et la nuit polaire ne les découragent pas. C’est vrai que c’est dur d’y entrer en cette fin novembre. « Mais on mange de vitamines et on va au solarium ! Et puis l’été, c’est le jour polaire, le soleil ne se couche jamais ! » Et aucune ne se sent prisonnière de la ville. Etrange quand on sait que St Petersbourg est à 26 heures de train et Moscou à 36 heures. Que la plupart des autres villes alentours sont militaires, interdites aux étrangers et que même les Russes doivent demander une autorisation pour y aller. Murmansk, une sorte d’île, perdue dans la taïga boréale.
Le projet Nordstream
Première visite à l’exposition Sevtek, cette foire du pétrole et du gaz installée dans la patinoire. Première plongée dans les projets qui se bousculent.
Avoir du gaz c’est bien, le vendre c’est mieux, mais surtout il faut le livrer. Sans qu’autrui puisse couper le robinet. C’est justement ce qui arrive actuellement pour les ventes de gaz russe à l’Europe. Toutes les conduites passent par l’Ukraine qui à chaque crise avec son voisin menace de couper. Et tout le projet Shtokman est construit autour de cette volonté de garder le contrôle.
C’est d’abord un premier gazoduc sous-marin qui amène le gaz jusqu’au rivage près de Murmansk. Non sans l’avoir plusieurs fois réchauffé en cours de route, vu la température de la mer de Barents.C’est ensuite un autre gazoduc qui devrait le conduire jusque dans la région de St Petersbourg pour rejoindre alors le projet germano-russe du Nordstream. Un gazoduc installé sous la mer baltique, permettant de contourner l’Ukraine et de délivrer le gaz directement en Allemagne.
Présentation du projet Nordstream : http://www.nord-stream.com
Toujours plus risqué :
Alors que Shtokman n’est même pas encore construit, de nouveaux projets encore plus fous surgissent en Russie. Prochaine cible, la côte nord-ouest de la Nouvelle Zemble. Plusieurs gisements de pétrole y ont été décelés. Mais là, l’hiver, la banquise règne en maître. Et au printemps les icebergs pourraient menacer les installations.
Qu’à cela ne tienne, la société russe Sintez espère commencer des forages d’ici 5 ans. A grand renfort de brise-glace nucléaires. Et pour augmenter l’autonomie des navires de forages isolés durant l’hiver, la Murmansk Shipping Company prévoit de transformer l’un de ses navires à propulsion nucléaire afin d’en faire le premier navire de forage nucléaire au monde.
Alexander Kondakov, son directeur commercial me tire par le bras pour me montrer les photos du navire. Et le voilà qui prend la pose tout sérieux devant l’objectif. Et si les stands de la Sevtek ne paient pas vraiment de mine, tous montrent des croquis ou des shémas qui rivalisent d’ambition.
Les projets sont du 21ème siècle, mais les filles en minijupes et tenues sexy sont là pour rappeler que depuis la ruée vers l’or, rien n’a vraiment changé.
Murmansk Shipping Company:
http://www.msco.ru/cgi-bin/common.cgi?lang=eng&skin=menu1&fn=first1
La vision des écologistes de Bellona sur le projet:
http://www.bellona.org/articles/sevmorput_drilling
La poubelle nucléaire :
De l’extérieur, ce n’est qu’un bloc comme les autres. Gris. L’entrée est protégée des rigueurs de l’hiver par une sorte de guérite en bois. Et l’escalier, comme toujours dans ces anciens bâtiments soviétiques est délabré. Mais poussée la porte de l’entresol, les bureaux de Bellona sont repeints de neuf. « Bellona-Murmansk », l’une des 2 antennes russes de l’ONG norvégienne basée à Oslo .
C’est là que je rencontre Nina Lesikhina l’une des 2 permanentes de ce mouvement écologiste qui s’est fait connaître en dénonçant en 1996 le danger des sous-marins nucléaires russes à l’abandon.Et c’est aujourd’hui sans doute avec le drame du Koursk, ce qui fait la notoriété de Murmansk. On dit même que chaque matin la radio donne le taux de radioactivité du jour.
-Mais non, ce n’est pas vrai, c’est un fantasme d’Occidental. Les réacteurs abandonnés sont encore confinés dans les carcasses. Mais c’est bien sur une bombe à retardement que nous sommes assis.
Et il n’y a pas que ça. Toute la région est sinistrée d’un point de vue écologique. Les usines électriques au charbon, les usines sidérurgiques, les fonderies ne respectent aucune norme anti-pollution. Ici on est surtout malade des bronches. Les conditions de travail sont désastreuses. Les ouvriers le savent, mais ne disent rien. Mélange d’atavisme soviétique et de peur de perdre son emploi. Alors le développement pétrolier ?
-A Bellona on est contre, dit Nina Lesikhina . En tout cas aujourd’hui. La Russie ne possède pas les moyens technologiques pour assurer des forages sans risques. Et en cas d’accident, dans les eaux glaciales de la mer de Barents, l’environnement est trop fragile pour s’en remettre.
Le gaz fait moins peur, mais Bellona craint que la région n’en profite pas. Qu’elle serve juste de lieu de transit. La preuve : le projet de nouvelle centrale électrique. Projet indispensable à la région. Elle sera au charbon, polluant s’il en est. Alors que le gaz transitera directement vers le sud. Chez Bellona, pas question de faire confiance au gouvernement de Moscou, ni d’ailleurs à celui de l’oblast (la région) de Kola.
Bellona : http://www.bellona.org
http://www.bellona.org/articles/oil_seminar
Hammerfest : « Nothernmost town in the world »
Ce n’est pas noir… pas nuit noire… mais nuit bleue. Un bleu très foncé d’où semblent émerger comme de grands fantômes, des îlots enneigés. Il est 14h15, le petit bimoteur du vol Wideroe 906 descend dans la nuit polaire. Seules lumières vives, celles, orangées, de Melkoya, l’île transformée en raffinerie de gaz. La torchère fait office durant quelques secondes de phare et l’avion se glisse à ras la colline pour se poser sur la piste enneigée. Nous sommes par 70°40’ de latitude nord, en ce début d’après-midi de décembre il fait totalement nuit. Hammerfest, 10’000 habitants, autoproclamée ville la plus nord du monde. On pourrait leur dire qu’ils oublient Longyearbyen, au Spitsberg, par 78°15’, mais avec ses 2000 habitants ce n’est qu’un gros village et Hammerfest tient à son étiquette qui lui amène quelques touristes. Il est vrai que le célèbre Cap Nord est tout près.
Le Cap Nord et son soleil de minuit : mais ça c’est l’été. Le revers de la médaille, c’est maintenant, en plein hiver, la nuit polaire. 3 heures à peine d’une pâle aurore entre 10h et 13h.
Le taxi file vers la ville, le chauffeur est de bonne humeur. « J’aime Hammerfest, c’est une ville sympa ». Et il ajoute : « C’est normal j’y habite ». En ville c’est la sortie des écoles. Les gosses courent sur les trottoirs. Tous sont revêtus d’un gilet jaune et de bandes phosphorescentes. Dans la lumière des phares ce sont d’étranges pantins lumineux. Je me hâte d’aller au Finnmark Dagblad, le quotidien local. Histoire de vérifier ce que je crois comprendre sur les manchettes et les infos en norvégien. La raffinerie de Melkoya inaugurée en octobre a de gros problèmes.
« C’est vrai que ça fait du bruit en ville » me dit Svein Jörstad, l’un des journalistes, en m’accueillant. « Il y a 3 semaines une vraie pluie de suie s’est abattue sur la ville. Cela venait de la torchère. Des émanations pas du tout prévues. Avec notamment du PAH, (Polycyclic Aromatic Hydrocarbon) un résidu cancérigène dû à une mauvaise combustion. Et en plus les premiers relevés montrent que l’installation a produit en 2 mois l’équivalent de CO2 qui était prévu pour 10 mois. Ils l’ont arrêtée maintenant. Des rumeurs parlent d’un an d’arrêt pour refaire les installations». A vérifier demain puisque je suis attendu chez StatoilHydro, la compagnie norvégienne propriétaire.
Le site de StatoilHydro sur le projet Snohvit/Melkoya :
http://www.statoil.com/STATOILCOM/snohvit/svg02699.nsf?OpenDatabase&lang=en
Sur Hammerfest :
http://visitnorway.com/templates/NTRDestinationArticle.aspx?id=185891
Melkoya : Un démarrage douloureux
« Non, ça ne durera pas un an. Mais plus d’un mois tout de même. Nous avons eu une fuite dans un échangeur de chaleur. Résultat : des entrées d’eau de mer. Il a fallu changer la pièce et maintenant le processus de rinçage est très long ».
Sverre Kojedal, l’homme des relations publiques de StatoilHydro à Hammerfest tient un discours bien maîtrisé. Il ne cache pas les problèmes, mais les relativise et les utilise à son avantage. L’usine est « brand new », flambante neuve. «C’est normal que nous ayons des problèmes de mise au point ». Il n’empêche qu’un mois d’arrêt à peine le processus enclenché, il s’en serait bien passé. La perte de production peut-être évaluée à 200 millions de francs.
Melkoya, c’est aujourd’hui la plus vaste raffinerie de gaz d’Europe. Elle doit non seulement séparer le gaz de ses résidus mais aussi le transformer en Gaz Liquéfié, le LNG. Pour cela, il faut le refroidir à -163°. Il peut ainsi ensuite être transporté à bord d’énormes bateaux, des méthaniers et exporté vers les Etats-Unis ou l’Europe. Un processus mis au point par les Norvégiens qui l’annoncent comme étant le plus efficient jamais réalisé. Plus au large, sur le champ gazier de Snovhit, pas la moindre plateforme. Les têtes de puits sont au fond de l’eau et le gaz arrive à terre par un pipeline sous-marin de 140 kilomètres. Mais on ne passe pas si facilement de la parole aux actes.
Et ça n’est pas le seul problème. Il y a d’abord le problème le plus visible : celui des suies crachées par la torchère. Une torchère, une sorte de soupape de sécurité, utilisée à chaque démarrage ou arrêt de l’installation. Manifestement on avait sous-évalué les rejets, mais StatoilHydro promet d’améliorer le système. Autre problème, les émissions de CO2, 6 fois plus importantes que prévu. Drôle d’image pour un projet qui se voulait modèle en terme d’efficience énergétique.
Le CO2 provient de 3 sources : L’usine électrique qui brûle du gaz pour faire tourner ses turbines, la torchère à chaque utilisation et le CO2 contenu dans le gaz en provenance des fonds marins. Ce dernier devrait être normalement séparé du méthane puis réinjecté dans les poches sous-marins grâce à un pipeline spécial prévu pour cela.
Une manière aussi pour StatoilHydro de faire de Melkoya un laboratoire pour le futur. L’idée de réinjecter le CO2 dans des poches souterraines fait partie des idées de demain pour lutter contre l’effet de serre. Et la Norvège entend bien prendre sa place sur un marché qui s’annonce très prometteur.
http://www.tu.no/offshore/article115119.ece
http://www.barentsobserver.com/index.php?id=3155384
Tromsö : le petit Paris du Nord
Bon, pour être franc, j’ai mis 2 alarmes aujourd’hui. Pas vraiment envie de rater l’avion. Hammerfest et sa nuit noire, au bout de 2 jours, ça pèse déjà.
Mais le vol vers Tromsö va suffire à faire remonter la cote de la région. Dans cette aube naissante l’avion se glisse au-dessus des îles qui parsèment la côte. C’est un festival de bleu, de gris et de rose : bleu-gris est la mer tout en bas, bleutées les îles enneigées et bleu-rose le ciel tout là-bas au sud-est. Le bleu, le gris, couleurs froides apprend-on dans les cours de dessin. Jamais cela ne m’a semblé si vrai, si glacé à travers le hublot. Et c’est déjà l’atterrissage à Tromsö, celle qu’on surnomme le petit Paris du Nord. Pas à cause de ses cafés ou de ses théâtres, mais pour ses boutiques de vêtements, « mode de Paris » déjà nombreuses au début du 20ème siècle. Autres temps, autres décors : aujourd’hui dans la grande rue commerçante, comme partout ailleurs, c’est H&M qui tient le haut du pavé.
Mais disons-le tout de suite, Tromsö est sympa. 60’000 habitants dont 20’000 étudiants. Et l’ambiance s’en ressent. La ville, devenue le centre de tout le Grand Nord norvégien, regorge d’activités et d’animations. Pas un soir ou presque sans un concert, une conférence, un film; même un festival de cinéma en janvier. Banal pour une grande ville, mais vraiment pas banal tout là-haut. Et tout d’un coup la nuit polaire pèse moins. A part cette étrange habitude qu’ont les hôtels de tout faire baigner dans une lumière tamisée. Même le restaurant où se prend le petit déjeuner est éclairé à la bougie. Difficile d’y lire son journal. Mais peut-être est-ce pour ne pas créer un trop gros écart avec l’extérieur? Eviter le choc au client !Et toujours cette lumière si étrange, cette aube qui se transforme en crépuscule, ces montagnes qui se détachent dans le ciel rougeoyant. Et le dessert si fréquent en hiver : les aurores boréales. Mais pas de chance – ou manque de temps pour aller hors de ville les observer – je serai privé de dessert.
Reste tout de même une ombre sérieuse au tableau : les prix. Un repas fait d’une pizza et d’une bière vous coûte plus de 40 francs, un café 6 francs, un paquet de cigarettes pour ceux qui fument (dehors obligatoirement) 14 francs 50. Le vin ne se trouve qu’au Vinmonopollet, le magasin d’état et le meilleur marché est à 16 francs la bouteille. A peine sorti, le porte-monnaie prend un coup de froid !
http://www.destinasjontromso.no/france/index.html
Thomas : le renifleur de pétrole
« Regardez-moi cette pagaille, voilà ce qui arrive quand le bateau s’arrête. Tout s’emmêle. Il ne reste plus qu’à couper les câbles. Des dizaines de milliers d’euros de perdus juste pour un fusible à 40 centimes »
Nous sommes au bar « Circa » (« L’à peu près », situé au rez de l’immeuble, alors qu’à l’étage se trouve le « Presis » (« le Précis »), un bar à Tapas. Tout l’humour de Tromsö, la capitale du nord.
C’est là qu’habite Thomas Chareyron, un jeune français né dans le Jura, arrivé en Norvège au terme de ses études de glaciologie. Là qu’il habite quand il n’est pas en mer, puisque Thomas est désormais spécialiste de géo-positionnement sur un navire de recherche pétrolière. 5 semaines de mer en 12h/12h, sans congé, puis la relève d’équipage et 5 semaines à terre, à Tromsö, sa ville d’adoption. Là qu’il se ressource dans la nature après ses semaines devant son écran d’ordinateur. Il navigue désormais sur le Geo Pacific . Un navire de 80 mètres de long, spécialisé dans la recherche sismique. Derrière lui, des canons à air dont les détonations provoquent des vibrations. Réfléchies par le sol elles sont captées par des «oreilles» réparties sur 8 câbles de 6 kilomètres de long, tirés par le navire. Et non seulement il faut avoir de bonnes oreilles mais savoir au millimètre près où elles sont, pour que les relevés permettent de détecter les couches géologiques susceptibles de cacher du pétrole. Et c’est là que Thomas intervient, lui le spécialiste en géodésie. Une spécialité acquise au Spitsberg où il a passé 3 ans, à s’occuper notamment d’une route minière construite sur un glacier. Et le voilà en mer désormais, l’été sur les côtes de Norvège, l’hiver en Libye, en Tunisie ou prochainement au large de Cuba et du Brésil. « Pas un métier de rêve, mais ça paie ! Et c’est une expérience fantastique » dit Thomas qui espère trouver bientôt un job à terre à Tromsö, lui qui a trouvé dans le grand nord un environnement qui lui plaît.
Heureusement que ça paie, vu les prix norvégiens !
La compagnie Fugro, employeur de Thomas : http://www.fugro.no
La recherche sismique sous-marine : Geophysical_Services/Marine
Bjorn F. Johansen : l’ange gardien de l’Arctique
C’est comme un grand vaisseau de pierre amarré dans la nuit polaire. Le Norsk Polar Institut, l’Institut Polaire Norvégien trône au bord du fjord à Tromsö. C’est là que nous accueille Bjorn Fossli Johansen. En pull norvégien bien sûr, dans son bureau qui domine la mer, dans cette étrange lumière d’aube perpétuelle qui est celle de ce début d’après-midi, Bjorn allume son ordinateur. Pour nous montrer le fruit de son travail.
Le zonage de la mer de Barents. Une manière de partager cette mer en zones exploitables et en zones fragiles interdites à l’exploration et l’exploitation pétrolière. Parmi les zones interdites, toute la zone côtière du nord, là où se reproduisent les morues si importantes pour la pêche, la deuxième industrie norvégienne. Interdite aussi le front polaire, là où les eaux du Gulf Stream et celle de l’Océan Arctique se rencontrent. Elles sont riches et planctons, en baleines et en poissons. Pas question de mettre cela en péril. D’autant plus que le pétrole n’est pas le seul danger. La sur-pêche et le nombre croissant de super tankers qui proviennent de la Russie font peser de lourdes menaces sur cette mer fragile. Mais Bjorn se veut optimiste, il espère que les Russes feront comme la Norvège et qu’ils adopteront aussi un plan de zone pour leur partie. Au vu de mes découvertes faites à Murmansk, je n’ose lui dire que rien n’est moins sûr.
L’Institut Polaire Norvégien :
http://npweb.npolar.no/english
La mer de Barents : la « game » du 21ème siècle
Voler de Tromsö vers Oslo… vers le sud!… en cette fin décembre.. c’est vraiment voler vers le soleil… Si le décollage s’est fait dans cette semi-obscurité qui m’est presque devenue familière au bout de 10 jours dans la nuit polaire, à mesure que l’avion file vers le sud, la lumière s’est faite plus intense, et très vite le soleil est réapparu.
Retour vers les latitudes normales avec la tête pleine de ces images récoltées durant ce reportage. Toutes ces fourmis qui s’agitent dans l’obscurité, toute cette activité, ce développement, cette ruée vers l’or, vers un avenir que tous croient prometteur grâce au pétrole. A l’échelle la région c’est une évidence. Mais à l’échelle de la terre, quelle importance? Cette mer de Barents et son gaz, ces fonds-marins arctiques et leur pétrole, est-ce vraiment si important? Y-a-t-il de quoi justifier cette partie d’échec que Russes et Européens jouent sous la banquise? De quoi expliquer cette fameuse expédition sous-marine d’aoûr dernier?
Pour le savoir, il devenait évident qu’il fallait le demander ailleurs, à quelqu’un qui aurait un peu de distance.
Ce qui fut fait dès mon arrivée en appelant Nadia Campaner. Géostratège et chercheur au Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières premières à l’université Paris-Dauphine, elle étudie depuis plusieurs années les relations entre l’Europe et la Russie en matière énergétique.
Et s’il fallait en retenir 5 points, ils pourraient être les suivants:
-Oui la région est géostratégique: Pour l’Europe à la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz. Pour la Russie aussi qui voit sa production pétrolière diminuer et qui a un énorme besoin de pétro-dollars.
-Oui, des projets comme Snovhit, Melkoya ou Shtokman sont de nature à améliorer la sécurité énergétique de l’Europe.
-Oui, l’exploitation de la mer de Barents n’est qu’un début et la course au pétrole en plein Arctique est, si ce n’est pour demain, pour après-demain.
-Non, ces nouvelles ressources pétrolières ne seront pas en mesure de faire baisser le prix du baril, ces exploitations étant par nature très coûteuses et rentables qu’au-delà d’un cours de 60 à 80$ le baril.
-Oui, ces futures exploitations présentent des risques très élevés en matières écologiques, et des limites devront être fixées en ce qui concerne les zones d’exploitation.
Merci donc à Nadia Campaner, mais aussi à tous ceux qui nous ont accueillis tout là-haut dans le Grand Nord pour mettre un peu de lumière dans cette si belle nuit polaire.
Gazprom, l’autre Kremlin : http://www.lepoint.fr/content/monde/article?id=25229
La Russie: un géant incontournable: dossier du groupe Total
Ce reportage et sa version radiophonique diffusée sur les ondes de la Radio Suisse Romande a obtenu le prix des médias Alstom 2007.